Pardonner
17 Avr 2021

Pardonner, du latin perdonare, signifie “tenir complètement quitte”.
En pardonnant, nous effaçons la dette de celui qui nous a offensé.
Ce faisant, nous nous libérons de l’obligation d’obtenir réparation et nous changeons radicalement notre propre existence.
Pardonner n’est pas un acte charitable pour l’autre, c’est une grande faveur que nous faisons à nous-même.
Nous coupons le lien qui nous lie à l’offenseur et nous entrave.
En le déclarant libre de sa “dette envers nous”, nous nous libérons nous-même.
Quel pardon pourriez-vous donner qui ouvrirait la porte de votre prison ?
Envie de vous libérer en pardonnant pour vivre léger ?
PS. Cette bulle vibre aussi sur les ondes de YouTube. C’est par ici.
« Légèrement vôtre, »: n’est ce pas le pardon qui est un peu léger ?! Voilà ce que j’aimerai examiner dans mon commentaire !
Il est dit dans cette bulle que par le pardon, « Nous coupons le lien qui nous lie à l’offenseur et nous entrave »: Or
« Ce ne sont pas les choses qui nous troublent,
mais
l’opinion que nous nous faisons des choses »
(Épictète)
«L’important n’est pas la manière dont l’injure est faite,
mais celle dont elle est supportée»
Sénèque (-1 à +65)
La ‘réponse’ très psychanalytique (!) de Sénèque décentre la totalité de cette bulle: LE PARDON EST IMPARDONNABLE car il véhicule une psychologie à l’ancienne où l’on est persuadé de la faute qui provient uniquement de l’autre. L’idée du pardon est consubstantielle à l’idée que seul l’autre est coupable et que donc moi-même je n’y suis pour rien.
Bien entendu, on ne s’en étonnera pas puisque la religion catholique est dès le départ assise sur cette double notion de faute et de péché originel. Adam et Eve sont la métaphore d’une faute non partagée avec le reste de l’humanité: ils ont payé pour nous !
En résumé, le pardon est totalement lié à l’idée de la culpabilité peine et entière de l’autre. Il souffre donc dès le départ de cette infirmité de ne pas envisager une faute à deux: par exemple, l’injure qui est proférée et la manière dont elle est prise. Or si j’admets que mon orgueil m’a fait hypertrophier l’injure alors j’ai l’idée qu’on est devant une faute à deux, de deux orgueils en miroir qui se répondre. Si je n’avais pas mal prise l’injure, je n’aurais même pas eu à pardonner.
Ce que je dis ici se retrouve dans la notion contemporaine d’ « intertexte » (Julia Kristeva, Barthes) des linguistes, où l’on admet que le lecteur réécrit le texte qu’il est en train de lire, par le fait même que SA lecture n’est pas forcément ce qu’a voulu dire l’écrivain.
Donc pardonner n’est pas si noble que ça, puisque précédé par une accusation absolu de l’autre.
Il y a un exemple historique qui permet d’illustrer cette problématique: celui du fascisme. On peut se contenter d’accuser Mussolini (Franco, Hitler) et décidé de leur pardonner… Mais en se contentant d’une définition synthétique du fascisme (c’est à dire centré sur des hommes précis ou un pays particulier), on met de côté quelque chose de beaucoup plus gênant et impliquant, et qu’aurait permise une définition analytique du fascisme: l’adhésion servile et totale à un « objet totalitaire unique », que cet objet soit une idéologie, un Dieu, une personne, une drogue, une obsession, un pays, un parti politique, une communauté.
Alors on s’aperçoit, ainsi que l’on fait remarquer certains historiens, que l’Eglise Catholique (au comportement ambigu pendant la dernière guerre) a largement participé à l’esprit du fascisme par l’adhésion et la « soumission » (étymologie de Islam !!!) du croyant à un Dieu unique: Mussolini a transformé les jeunesses catholiques du Pape en les tristement fameuses Chemises Noires fascistes: de Dieu au Fuhrer (ou au Roi de droit divin), il n’y a qu’un pas… structuraliste. À l’inverse le polythéisme grec est contemporain de la naissance de la philosophie et de la pluralité des opinions.
« Dieu se rit des hommes qui déplorent les effets des maux dont ils chérissent les causes » Bossuet (1662)
Voilà pourquoi je préfère l’humour d’un Clémenceau qui a sans doute lu Sénèque:
«je connais un tas de types à qui je ne pardonnerai jamais les injures que je leur ai faites»
Clémenceau
Ou encore,
«Si nous n’avions point de défauts, nous ne prendrions pas tant de plaisir à les remarquer dans les autres» La Rochefoucauld (1613-1680)
La conclusion qui s’impose:
“Une chose singulière quelconque, dont la nature est entièrement différente de la nôtre, ne peut ni aider ni contrarier notre puissance d’agir, et, absolument parlant, aucune chose ne peut être bonne ou mauvaise pour nous, à moins qu’elle n’ait quelque chose de commun avec nous” Spinoza
« On croit suivre la nature
encore et encore,
et on longe seulement la forme à travers laquelle nous l’examinons ».
Wittgenstein (1889-1951)
« Je suis persuadé que
les autres
ne sont pas seulement le lieu où on s’aime soi-même,
mais aussi celui où l’
on se déteste »
Lichtenberg (1742-1799)
« Nous ne découvrons dans les choses aucune cause, nous nous contentons de remarquer ce qui lui correspond en nous. Où que nous portions le regard, nous ne voyions que nous-mêmes ».
Lichtenberg (1742-1799)
« Pardonner n’est pas un acte charitable pour l’autre, c’est une grande faveur que nous faisons à nous-même »: oui mais dans un sens très différent que ce qui est ici signifié: en lui pardonnant nous le mettons à notre merci de notre pseudo générosité, de notre pitié suspecte.
« En le déclarant libre de sa “dette envers nous”, nous nous libérons nous-même »: non car nous nous aliénons à une analyse qui nous exclut de notre propre participation au problème. Comme le dit la chanson de salle de garde: « c’est pas moi, c’est ma soeur qui a cassé la machine à vapeur »…
« Quel pardon pourriez-vous donner qui ouvrirait la porte de votre prison ? Envie de vous libérer en pardonnant pour vivre léger ? »:
Ce qui ouvrirait donc les portes de ma prison est donc l’abandon pur et simple du pardon qui repose sur cet inique préalable de la responsabilité totale et entière de l’autre comme cause; sans la perception que cet autre est un autre moi-même et que nous formons ensemble une association de malfaiteur !.
C’est en ce point qu’on retrouve ma sempiternelle critique de la causalité dans son acceptation première de « procès » (qu’on retrouve dans l’idée de défendre une grande cause): la causalité externe unique est une plaie de notre logique… paranoïaque ! C’est à dire la preuve par l’autre en face de moi, dans l’ignorance de l’autre en moi…
“Qu’on dise,
se cache derrière ce qui se dit,
dans ce qui s’entend” Lacan
« Il ne suffit pas de tuer les moustiques, encore faut-il assécher les marais » !!!
Le pardon est impardonnable… car il va de pair avec cette plaie de notre société, en quête perpétuelle de coupables (il faut bien des coupables pour pardonner), coupables qui nous exonèrent de notre propre responsabilité. C’est en substance ce que dénonce « la généalogie de la morale » de Nietzsche: cette généalogie dénoncée qui a donné « l’homme du ressentiment » qui gangrène notre société actuelle en quête perpétuelle de bouc émissaire (René Girard). Même le Covid 19 avec ses incertitudes, ces aléas mutationnels est à mettre au compte de l’exécutif actuel… Etonnant, non ?
Un dernier exemple, les Espagnols sont coupables d’avoir volé tout l’or des Incas et autres peuplades d’Amérique du Sud. Le fait est exact MAIS il n’aurait pas été possible sans la culture du « potlacht »des peuples autochtones: culture qui leur intimait l’ordre de répondre à un don par un contre-don (Marcel Mauss): les espagnols leurs donnèrent de la bimbeloterie sans valeur, et en échange ils leurs donnèrent de l’or… Pour faire un bon ou mauvais match, il faut être deux !
« Parmi les malentendus et les idées fausses que l’on se fait sur la Révolution Française, il y a aussi celle-ci quelle est menée par quelque scélérats. N’est-ce pas plutôt que les scélérats profitent de l’état d’âme de la nation ? » Lichtenberg
À qui faut-il pardonner ?! Aux scélérats ou à l’état d’âme de la nation ?!!!
Faire le procès de la Terreur de 1893 se centre souvent sur Danton et Robespierre et « oublie » « l’état d’âme de la nation » !
Faire le procès d’Hitler oublie souvent les industriels de la Ruhr qui l’ont soutenu et la géopolitique de l’époque (c’est à dire la responsabilité politique des pays qui vont subir les effets délétères du nazisme).