Montrer mon visage
27 Fév 2021

Nous nous cachons derrière nos masques très opaques. Je ne parle pas du masque anti-Covid mais de celui de l’époux prévenant, du manager omni-présent, de la maman aimante, de la fille docile.
Ce masque nous protège des autres mais il fait disparaître qui nous sommes vraiment.
Une « façade » ou un « abri ». Et nous sommes à l’abri derrière nos façades. Mais nos façades sont-elles aimables ?
Et si 2021 était l’année de la transparence ?
L’année où les masquent tombent et nous nous connectons à un autre niveau ? Là où nous sommes aimables et savons aimer ?
PS. Retrouvez les bulles en vidéo ici sur ma chaîne YouTube !
Voilà une bulle qui pointe l’exacte différence entre la psychologie et la psychanalyse.
« Ça pense où je ne suis pas et je suis où ça ne pense pas » résumait en substance Lacan pour explicité la différence entre le « ça » et le « moi ». Le « je suis » c’est le masque qui en étrusque ancien se disait « persona »: avoir de la la personnalité ce n’est guère que d’avoir un masque qui attire l’attention… on n’est pas très loin du théâtralisme hystérique !
Le « ça pense » (« cogigatur » de Spinoza, qui écrivait en latin) pointe bien l’idée que ce n’est pas forcément moi qui mène le « je » et le « jeu » (Paul Ricoeur). Moi qui a été inventé… justement pour me faire croire (et le faire croire aux autres) que je suis le maître volontariste et tout puissant de ma vie (Hume); alors que je suis en grande partie l’esclave de mes pulsions inconscientes qui me manipulent à l’insu de mon plein gré !
« Ce masque nous protège des autres mais il fait disparaître qui nous sommes vraiment »: oui il nous protège des autres mais il faut entendre « autre » dans un sens non psychologique (c’est à dire l’autre en face de moi), à savoir « ce que de moi-même je ne connais pas » (définition analytique et structuraliste de l’autre qui pointe que c’est aussi bien l’autre en face moi (le sens trivial psychologique) que l’autre en moi (le sens analytique) c’est à dire mon inconscient que je ne connais pas. Donc ce masque en même temps qu’il me protège des autres en face, me ‘protège’ aussi de ce que ‘je’ suis vraiment vraiment… par l’autre en moi.
De plus, cet autre en moi n’est pas de l’ordre d’une image mais d’un mouvement dynamique: « je ne peins l’être mais le passage » Montaigne. Ce que je suis « vraiment » est de l’ordre d’une disparition de mon image psychologique qui me sert de masque.
« Une « façade » ou un « abri ». Et nous sommes à l’abri derrière nos façades. Mais nos façades sont-elles aimables ? »: donc nous ne sommes même pas à l’abri puisque l’abri (c’est à dire le symptôme) nous cache à nous même et n’est donc qu’un abri… de façade.
Et c’est peut être par ce biais qu’on peut renouveler la pensée du masque anti-Covid: ce masque qu’on fustige, dont on veut se débarrasser, comme projection-déplacement de nos pseudo personnalités comme autant de masques dont on se refuse à se débarrasser: il est plus facile de se débarrasser du masque anti-Covid (en en accusant de surcroit les politiques qui nous les imposent) que de se débarrasser de nos masques qui imposent nos personnalités de façade.
Ainsi le masque anti-Covid ne fait que masquer le masque de nos personnalité histrioniques: et si c’était ça l’année de la transparence ?! Masquer le masque: voilà l’intolérable du masque anti-Covid: une invitation à ce que l’on a toujours refusé… sous prétexte d’irrespirabilité. La lutte contre le masque anti-Covid comme victime émissaire (René Girard), comme déplacement d’une lutte qui nous débarrasserait de nos masques de personnalité.
« Et si 2021 était l’année de la transparence ? »… «Vulnérablement votre » : tout est ici dit: la transparence, hors des masques, impose l’esprit de vulnérabilité.
Vulnérabilité qui pour moi n’est pas étrangère au féminin des hommes comme des femmes: mais là les masques tombent peut être un peu trop, car derrière les masques homme-femme du destin de l’anatomie se profile cette idée encore iconoclaste (autre mot qui dit une manière de faire tomber les masques) et révolutionnaire de Freud: « l’inconscient ne connait pas la différence des sexes »: Dieu ne se représente pas car Dieu ne peut être réduit aux masques de ses représentations…
« Nous nous cachons derrière nos masques très opaques. »: un contre sens pourrait être fait à partir de ce propos. On pourrait comprendre que si je fais disparaitre ces masques alors apparait ma véritable image (un train peut en cacher un autre) ; à l’instar de ces toiles de maître qui révèle un tableau sous le tableau qui le recouvre. Qu’on pense aussi à « l’origine du monde » de Courbet caché derrière un autre tableau de façade.
Or ces masques à faire disparaitre sont la métaphore de quelque chose de plus radical : ce « que nous sommes vraiment » n’est pas de l’ordre d’une image qui serait masquée. Ce que nous sommes vraiment est de l’ordre d’un être dynamique (quasi oxymore) en perpétuel devenir, et qui affirme sa « perfectibilité » par ce devenir même. Là où une image, même cachée par un masque, ne serait que la représentation d’un être fixe (quasi pléonasme) et figé justement par une image statique comme vivant cadavre de soi même (Pessoa). Voilà pourquoi nous sommes prisonnier de ce masque haïssable qu’on appelle le Moi (Pascal).
« L’année où les masquent tombent et nous nous connectons à un autre niveau ? Là où nous sommes aimables et savons aimer ? »: les mots aussi peuvent être des masques qui par leur fixité apparente masque une multiplicité de sens: ainsi le concept d’amour tel qu’il s’est imposé dans la chrétienté masque la multiplicité des sens qu’il avait chez les Grecs anciens: « Philia » l’amour (le plus noble) de l’ami, « parce que c’était lui, parce que c’était moi » (La Boétie), « Eros » l’amour sensuel et « Agapè » l’amour charitable du prochain. Oui, l’amour unique chrétien peut servir de masque aux triple amour grec… Donc aimer: ok mais de quel amour ?!
L’un et le multiple: le masque de l’Un pour recouvrir et censurer l’anarchie du multiple.
« Montrer mon visage » est le titre de cette bulle. Mais une chose m’intrigue: ce titre n’apparait pas dans la bulle que je reçois par mail alors qu’il est présent dans le texte de ton site internet. Est-ce un bug ou un oubli… freudien ?!!!
De fait, ce titre ‘oublié’ dans le mail que je reçois m’intéresse car il fait écho à une idée développée par Gilles Deleuze: « tout visage n’est pas de visage ». Il décrit le visage comme l’association d’un cadre fixe (le cadran d’une montre ou le cadre osseux d’un visage) et d’un mouvement qui anime ce cadre (les aiguilles de la montre qui bougent ou les mimiques émotionnelles de ce visage): il donne ainsi une définition analytique et structuraliste du visage. Voilà pourquoi une montre a un visage… qui n’est pas de visage !
Or trop souvent la psychologie qui nous anime réduit le visage à son seul cadre fixe, la montre à sa seule image photographique qui paralyse et rend invisible le mouvement des aiguilles. Ce fut le procès fait à l’anatomie, réduisant le corps à une somme d’organe, sans tenir compte du supplément dynamique qu’apporta la physiologie d’un corps en mouvement. Si « penser c’est lier » alors ce corps avait une pensée que révélait le lien physiologique entre les différents organes. L’anatomie masquait la physiologie du corps.
Oui nous devons faire disparaitre cette fixité des images qui sont sensées nous représenter, pour se laisser engrosser par un extérieur étrange, étranger et multiple (donc angoissant): et cela demande une éthique de la vulnérabilité… y sommes nous « vraiment » prêt ?!